Audrey Vernon m’a brisé le coeur

15 février 2014

J’ai rencontré Audrey en juillet à Avignon, y’a deux ou trois ans, elle portait peut être une robe de cocktail au bord de sa piscine, en tout cas sa mère, elle, s’abritait sous un grand chapeau et on a mangé des merguez de qualité au bord de l’eau. Océane était là, elles jouaient toutes les deux pendant le festival, je sais plus de quoi on a parlé mais je leur ai lu je crois et à voix haute un bout de mon livre sur les bonnes manières au Moyen-Âge. Je sais plus trop mais une chose est sûre, c’est qu’Audrey était sur le point d’avoir le plus grand chagrin d’amour de toute l’Histoire, et que je la suivrais de pas très loin. C’était comme si on était en train de s’entraîner ensemble cet été là pour les pires Jeux olympiques qui aient été crées sur terre. On se regardait et on sentait que même si la piscine même si le festival et les filles qui venaient la voir en disant j’adore ce que vous faites, et qu’elle de dire merci ah merci c’est adorable, au fond c’était un peu son dernier repas « avant ».
Et puis on est rentrées, on s’est encore un peu fait draguer par le mois de septembre et il a fait froid.
Très très froid.
Partout.
Dedans, dehors, à la surface, dans les piscines, sous le soleil, c’était tout trop froid tout le temps. On s’est pas consultées pourtant et je sais pas comment on a réussi notre coup, mais en une prise tout était enregistré, prêt à être livré.
On s’est revues trop habillées et hébétées de ne pas savoir quoi faire de notre peau, en hiver
on s’est revues au printemps, moi j’avais décidé que la sobriété était trop âpre et elle je sais pas ce qu’elle avait décidé mais elle portait toujours des robes de cocktails sauf qu’elle avait l’air bien-après-la-tristesse, on aurait dit qu’elle portait un sac à dos avec le monde entier dedans, le tout en robe de cocktail donc c’était à peu près fascinant.
On s’est revues en été, surprises d’être peut être encore capables de dire que peut-être, oui éventuellement peut être un jour, peut être hein, mais pas tout de suite, mais peut être, voilà, admettons, pourquoi pas.
On s’est recroisées l’hiver d’après, à moi il me restait quelques très mauvaises habitudes mais pas de chagrin, comme si j’avais fait une sorte de gommage géant intérieur et elle arrivait et son « Hey girrrrls ! » sonnait déjà plus juste qu’un an auparavant.
Et puis un de ces fameux soirs de « Hey girrrls », elle nous a dit (à Océane et moi) « j’ai écrit une pièce ça s’appelle Chagrins d’amour, je vais la jouer une seule fois, le 14 février, le jour de la St Valentin ».
Audrey
toute crachée.
Il faut savoir que cette phrase, ça pourrait être gravé sur son épitaphe. Je crois bien qu’il n’y a qu’elle pour engager une conversation comme ça, « j’ai écrit une pièce ça s’appelle Chagrins d’amour, je vais la jouer une seule fois, le 14 février, le jour de la St Valentin ».
Et puis hier soir sans crier gare c’était le 14 février, mes parents étaient là alors je les ai emmenés voir Audrey jouer. Dans le taxi, comme je rentre de 10 jours de vacances chez mon amie Linda qui fait de très belles synthèses, je leur expliquais un peu qui était Audrey, comédienne, univers juste à côté du monde, oh pas très loin mais pas exactement ici, très belle, regard noir perçant, fan d’astrologie et de nattes africaines à Château d’eau, scansion reconnaissable entre mille et choix de sujets toujours engagés. voilà ce que j’ai dit.
et puis on est arrivés, en retard, juste quand ça commençait, Audrey est montée sur scène, et pendant une heure, elle a fait CA de SON chagrin d’amour, le plus grand de toute l’Histoire. En prétextant Phèdre, elle a déroulé toutes les phases de deuil d’une relation, parce que oui c’est comme s’il était mort, et puis il y a l’hystérie et le désespoir, et la preuve que c’est fini avec la trace de rouge à lèvre sur une brosse à dents qu’on pensait bien connaître, et puis si Phèdre alors nous aussi on doit se suicider à la fin, parce que sinon ça veut dire qu’on est infidèles si on passe à autre chose, et puis on veut que ça finisse comme une comédie romantique pourquoi ça finit pas comme une comédie romantique :
Audrey : j’ai pas le droit à une comédie romantique moi
le souffleur : non. Descends de scène et rejoins moi, en bas y’a la vie. (c’est pas les mots exacts j’étais en train de sortir manu militari toutes les larmes de mon corps)
En bas, y’a la vie.
En bas Audrey, tu m’as brisé le coeur, par ton courage extraordinaire et le cran, le souffle et le courage que tu as trouvé pour transformer ton chagrin d’amour en Chagrins d’Amour.
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Il est nécessaire que le monde entier voie cette pièce.

Une Réponse vers “Audrey Vernon m’a brisé le coeur”

  1. Gueguen said

    Je ne connais ni Audrey Vernon, ni Marie Martine Jackson, mais le témoignage d’amitié de l’une pour l’autre est devenu public, je viens de lire un genre de déclaration d’amour entre deux nanas qui partagent la sensation d’être allées sur la lune, alors je me permets de commenter puisque il y a une place pour. Vous êtes allées sur la lune et vous racontez votre descente et l’atterrissage difficile. Tout le monde (ou presque) est passé par là, la différence, c’est que peu de gens utilisent la chute comme une force. Alors qu’en vérité, plus on tombe, plus on a des chances de décoller.
    Je vous embrasse (après tout, je suis allé sur la lune aussi).

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