Ca dépend. Des fois j’ai rien à ajouter. J’ai l’impression que tout a été dit, que de toutes façons j’ai tout compris c’est pas qu’on me la fait pas, c’est juste que j’ai pas envie qu’on me la fasse. C’est juste que ça va, laissez-moi je la connais l’histoire, je la connais bien, on attend on est surpris on sursaute sans que ça se voie, et puis on sourit, et puis on attend encore un peu et puis on fait pas de stratégie, et puis une bonne surprise, et puis ça commence, le mieux c’est l’annonce, et puis ellipse, et puis on se retrouve dans la rue et y’a le nous de juste avant qui nous tape sur l’épaule en disant « ah bah quand même ! Ah bah t’es triste ? Bah ouais mais bon, qu’est ce que tu veux aussi, c’est pas comme si c’était la première fois, c’est pas comme si t’avais pas fait ta belle en faisant semblant de pas voir que j’étais là, tu t’es pas occupée de moi pendant combien de temps ? Un an ? Deux ? Trois ? Putain 4 ! Et c’est toi qui est vener et il faut encore parler de toi ? Bah nan là je peux te dire que je vais rattraper tout ce que tu m’as oublié, je vais parler de moi je vais me mettre bien en face de toi pendant un long moment ma belle, attends toi à plonger dans ton propre corps le temps que j’en ai envie, en fait non, le temps que toi t’en auras pas envie ».
On passe donc du père au mari à soi même, on passe donc de comme si on savait pas que le gouvernement avait décidé d’engager une guerre à sur le champ de bataille direct propulsée au milieu des sifflantes, évidemment sans aucun fusil ni même un ptit couteau, juste avec un putain de poids mort qui est l’autre nous à tirer comme un sale gros boulet qui sert à rien et qui fait que chouiner parce que soi disant c’était mieux avant. Ouais soi disant. Soi disant que l’attente c’est cool, soi disant que la jalousie c’est génial, soi disant que mon cul surtout ouais, je crois plutôt que soi disant la mémoire cette sale pute nous file à moudre que des trucs doux, par exemple si on aime la lasagne on se rappelle du goût de la lasagne, mais les choux de bruxelles comme c’est pas bon on n’a pas envie de s’en rappeler, vous voyez c’est pour ça que je précise que c’est pas qu’on me la fait pas, c’est juste que j’ai pas envie qu’on me la fasse.
Alors il faut un sacré putain de courage et un sacré putain de sang froid pour aller à la guerre, sans même avoir signé sans même être payé et en sachant très bien qu’on peut s’asseoir bien confort sur une pension d’invalidité qui n’arrivera jamais après tous ces efforts fournis afin de pas se capoter dans un fossé bien doux bien moelleux qui demande qu’à nous accueillir.
J’ai 4 souvenirs de ma propre déchéance, enfin ce que j’appelle comme ça pour une meilleure compréhension, je pourrais l’appeler délivrance demain ou j’aurais pu dire consécration de lucidité hier, j’ai le souvenir d’avoir appelé Raphael pour qu’il vienne dormir avec moi, j’ai le souvenir que j’ai rencontré un gars deux secondes après que j’ai utilisé comme un gilet pare balles mais je saurais plus bien dire comment il s’appelle je sais juste que lui aussi il était au -5 de son propre parking, j’ai souvenir que si j’avais pas eu d’amis à ce moment là mon fossé je le connaîtrais par coeur et j’ai un souvenir très récent puisqu’il date d’hier, de me dire « je crois qu’il faut faire confiance à ce qui nous arrive ».
C’est très bien d’avoir des flashs, des bons et des mauvais. De toutes mes grandes histoires j’en ai quelques uns, je sais bien qu’ils servent à rien mais au moins ça prouve que j’ai pas Alzheimer, et puis comme j’ai pas bien envie qu’on me la fasse pour le reste j’essaie de pas trop m’engueuler avec la meuf que j’ai rencontré et qui m’a tapé sur l’épaule quand je marchais hagarde dans la rue.
Sinon c’est trop long et de toutes façons, on sait très bien que la vie c’est une sorte d’activité géante, on fait que s’occuper, on passe le temps comme on peut.

J’ai rencontré Audrey en juillet à Avignon, y’a deux ou trois ans, elle portait peut être une robe de cocktail au bord de sa piscine, en tout cas sa mère, elle, s’abritait sous un grand chapeau et on a mangé des merguez de qualité au bord de l’eau. Océane était là, elles jouaient toutes les deux pendant le festival, je sais plus de quoi on a parlé mais je leur ai lu je crois et à voix haute un bout de mon livre sur les bonnes manières au Moyen-Âge. Je sais plus trop mais une chose est sûre, c’est qu’Audrey était sur le point d’avoir le plus grand chagrin d’amour de toute l’Histoire, et que je la suivrais de pas très loin. C’était comme si on était en train de s’entraîner ensemble cet été là pour les pires Jeux olympiques qui aient été crées sur terre. On se regardait et on sentait que même si la piscine même si le festival et les filles qui venaient la voir en disant j’adore ce que vous faites, et qu’elle de dire merci ah merci c’est adorable, au fond c’était un peu son dernier repas « avant ».
Et puis on est rentrées, on s’est encore un peu fait draguer par le mois de septembre et il a fait froid.
Très très froid.
Partout.
Dedans, dehors, à la surface, dans les piscines, sous le soleil, c’était tout trop froid tout le temps. On s’est pas consultées pourtant et je sais pas comment on a réussi notre coup, mais en une prise tout était enregistré, prêt à être livré.
On s’est revues trop habillées et hébétées de ne pas savoir quoi faire de notre peau, en hiver
on s’est revues au printemps, moi j’avais décidé que la sobriété était trop âpre et elle je sais pas ce qu’elle avait décidé mais elle portait toujours des robes de cocktails sauf qu’elle avait l’air bien-après-la-tristesse, on aurait dit qu’elle portait un sac à dos avec le monde entier dedans, le tout en robe de cocktail donc c’était à peu près fascinant.
On s’est revues en été, surprises d’être peut être encore capables de dire que peut-être, oui éventuellement peut être un jour, peut être hein, mais pas tout de suite, mais peut être, voilà, admettons, pourquoi pas.
On s’est recroisées l’hiver d’après, à moi il me restait quelques très mauvaises habitudes mais pas de chagrin, comme si j’avais fait une sorte de gommage géant intérieur et elle arrivait et son « Hey girrrrls ! » sonnait déjà plus juste qu’un an auparavant.
Et puis un de ces fameux soirs de « Hey girrrls », elle nous a dit (à Océane et moi) « j’ai écrit une pièce ça s’appelle Chagrins d’amour, je vais la jouer une seule fois, le 14 février, le jour de la St Valentin ».
Audrey
toute crachée.
Il faut savoir que cette phrase, ça pourrait être gravé sur son épitaphe. Je crois bien qu’il n’y a qu’elle pour engager une conversation comme ça, « j’ai écrit une pièce ça s’appelle Chagrins d’amour, je vais la jouer une seule fois, le 14 février, le jour de la St Valentin ».
Et puis hier soir sans crier gare c’était le 14 février, mes parents étaient là alors je les ai emmenés voir Audrey jouer. Dans le taxi, comme je rentre de 10 jours de vacances chez mon amie Linda qui fait de très belles synthèses, je leur expliquais un peu qui était Audrey, comédienne, univers juste à côté du monde, oh pas très loin mais pas exactement ici, très belle, regard noir perçant, fan d’astrologie et de nattes africaines à Château d’eau, scansion reconnaissable entre mille et choix de sujets toujours engagés. voilà ce que j’ai dit.
et puis on est arrivés, en retard, juste quand ça commençait, Audrey est montée sur scène, et pendant une heure, elle a fait CA de SON chagrin d’amour, le plus grand de toute l’Histoire. En prétextant Phèdre, elle a déroulé toutes les phases de deuil d’une relation, parce que oui c’est comme s’il était mort, et puis il y a l’hystérie et le désespoir, et la preuve que c’est fini avec la trace de rouge à lèvre sur une brosse à dents qu’on pensait bien connaître, et puis si Phèdre alors nous aussi on doit se suicider à la fin, parce que sinon ça veut dire qu’on est infidèles si on passe à autre chose, et puis on veut que ça finisse comme une comédie romantique pourquoi ça finit pas comme une comédie romantique :
Audrey : j’ai pas le droit à une comédie romantique moi
le souffleur : non. Descends de scène et rejoins moi, en bas y’a la vie. (c’est pas les mots exacts j’étais en train de sortir manu militari toutes les larmes de mon corps)
En bas, y’a la vie.
En bas Audrey, tu m’as brisé le coeur, par ton courage extraordinaire et le cran, le souffle et le courage que tu as trouvé pour transformer ton chagrin d’amour en Chagrins d’Amour.
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Il est nécessaire que le monde entier voie cette pièce.